Le Front des artistes canadiens / Canadian Artists’ Representation (CARFAC) est une association qui représente les artistes en arts visuels professionnel·le·s. Au nom de nos membres et des 21 000 artistes en arts visuels de l’ensemble du pays, nous souhaitons exprimer notre opposition à la nouvelle tarification douanière sur les œuvres d’art originales mise en œuvre par le gouvernement du Canada le 4 mars 2025, ainsi qu’au projet visant à élargir la liste actuelle à d’autres formes d’arts visuels et à d’autres produits culturels.
L’incidence économique d’une guerre commerciale avec les États-Unis est une préoccupation pour l’ensemble des résident·e·s du Canada. Cette menace est sans aucun doute réelle pour bon nombre d’artistes qui dépendent des ventes effectuées sur le marché américain, ainsi que pour ceux et celles qui importent des quantités substantielles de produits américains pour réaliser des œuvres. Selon le recensement de 2016, jusqu’à 66 % des artistes en arts visuels travaillent de manière autonome et leur revenu médian est légèrement supérieur à 20 000 dollars par année. Lorsque des droits de douane sont imposés de part et d’autre de la frontière, l’augmentation des coûts de production et d’exportation des œuvres vulnérabilise encore davantage les artistes, ce qui a pour effet de refroidir le marché de l’art sur lequel repose leur revenu.
Le 3 mars, le service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (U.S. Customs and Border Protection) a publié le bulletin n° 64297449, qui stipule que les produits canadiens entrant aux États-Unis seront soumis à des droits de douane de 25 %, ou de 10 % dans le cas d’importations d’énergie. Bien que la date de mise en œuvre ait été reportée au 2 avril, il existe une exemption notable pour les produits canadiens (9903.01.12) « qui sont du matériel d’information, y compris, sans s’y limiter, les publications, les films, les affiches, les enregistrements phonographiques, les photographies, les microfilms, les microfiches, les bandes audio, les disques compacts, les CD ROM, les œuvres d’art et les fils de presse ». Cette exemption est conforme aux dispositions de L’ACEUM (Accord Canada–États-Unis–Mexique), qui autorise la circulation d’œuvres originales en franchise de droits entre le Canada et les États-Unis.
L’exemption américaine est une bonne nouvelle pour les artistes et les galeries commerciales du Canada. Nous craignons toutefois qu’elle ne soit levée, car plusieurs formes d’œuvres importées des États-Unis figurent sur la liste de produits établie le 4 mars dernier par le gouvernement du Canada dans une première vague de rétorsion fixant les droits de douane à 25 %. Peintures, dessins, pastels, collages, mosaïques et autres objets décoratifs muraux figurent sur la liste, tel qu’indiqué sous le numéro tarifaire 9701.91.10. Une liste établie en vue d’une deuxième vague de tarifs, classée sous les numéros tarifaires 9701 à 9703, s’élargit aux œuvres telles que les gravures, les lithographies et les sculptures.
CARFAC conteste l’inclusion des œuvres d’art à toute liste tarifaire, en particulier à une liste canadienne dans le cas où les États-Unis continueraient d’adhérer à l’exemption pour les œuvres canadiennes. Un tarif imposé unilatéralement par le Canada crée un dangereux précédent qui expose les créateur·trices et les industries culturelles du Canada au risque de subir des « tarifs de rétorsion » de la part des États-Unis, ce qui dévasterait le marché de l’art canadien et pourrait avoir de profondes répercussions à long terme sur nos accords commerciaux. Le Canada s’est toujours engagé à tenir la culture à l’écart des négociations, ce qui lui permet de mettre en œuvre des quotas nationaux de contenu culturel et d’autres politiques qui l’aident à préserver sa souveraineté culturelle. Le secteur culturel pourrait désormais se trouver dans une position affaiblie lors de futures négociations de l’ACEUM et de plusieurs autres accords commerciaux actuellement en cours d’élaboration.
Si notre principale préoccupation est l’éventualité qu’un tarif douanier soit appliqué aux biens culturels en tant que mesure de rétorsion, ce n’est pas la seule. En effet, un droit de douane sur les œuvres importées des États-Unis, qui ne préoccupe guère la plupart des artistes en arts visuels canadiens, ne serait pourtant pas sans conséquences. Il arrive à des artistes du Canada travaillant ou résidant dans les deux pays d’importer au pays des œuvres produites aux États-Unis en vue d’expositions temporaires ou de la vente en consignation dans une galerie. Dans le cas où ces artistes sont représenté·e·s par des galeries commerciales en activité dans les deux pays, si une partie importante du stock était désormais soumise à des droits de douane, leurs affaires pourraient en pâtir. En outre, alors les États-Unis n’ont pas imposé de droits de douane sur les œuvres canadiennes, les galeries canadiennes signalent déjà que les affaires sont au ralenti et que des œuvres expédiées aux États-Unis restent bloquées à la frontière. En comparaison, nous avons entendu dire que nos collègues d’autres disciplines artistiques ne subissent pas les mêmes difficultés douanières, peut-être parce qu’il subsiste une exemption bilatérale pour leurs types de marchandises.
Outre les droits de douane sur les œuvres d’art importées des États-Unis, le Canada a également publié un avis d’intention de mettre en œuvre des droits de douane sur les fournitures artistiques telles que la peinture et les pinceaux, ainsi que sur d’autres matériaux couramment utilisés dans la production artistique. L’augmentation du coût de ces matériaux pourrait avoir d’importantes retombées sur la production et la vente d’œuvres, ce qui entraînerait une hausse des prix et donc une baisse des ventes pour les artistes et les galeries.
Si nous plaidons en faveur d’exemptions pour les matériaux d’art importés, nous comprenons également la nécessité d’une réciprocité si les États-Unis imposent des droits de douane sur des produits similaires. Nous offrons notre soutien indéfectible aux fabricants et détaillants canadiens de matériaux d’art et nous encourageons les artistes à faire des choix éclairés. Il n’y a jamais eu de meilleur moment pour faire ses achats localement ! Certains magasins de fournitures artistiques font déjà la promotion des produits fabriqués au Canada sur leur site Web; d’autres suivront probablement au fur et à mesure que la situation évoluera.
Les artistes de ce pays s’appuient sur un marché de l’art solide des deux côtés de la frontière. Selon Statistique Canada, la valeur des biens et services culturels exportés par le Canada s’élevait à 24,5 milliards de dollars en 2022. Sur ce total, 8,2 milliards de dollars, soit 33 %, concernaient des œuvres du domaine des arts visuels et appliqués exportées vers les États-Unis. Certes, la situation actuelle offre aux artistes et aux galeries la possibilité d’élargir leurs débouchés à l’international… mais déplacer 80 % du marché étranger vers un autre pays n’est pas une mince affaire. Le coût de l’expédition à l’étranger pose des problèmes considérables dans un secteur où les marges bénéficiaires sont très minces. Par ailleurs, notre secteur aurait besoin d’un soutien considérable pour réorienter ses stratégies de marketing vers d’autres pays. Si ces droits de douane restent en place, la communauté artistique canadienne pourrait subir de graves conséquences entraînant potentiellement une réduction des revenus des artistes, une restriction de l’accès à l’art et des occasions de l’apprécier pour les amateurs, ainsi qu’une perte substantielle de notre patrimoine culturel collectif.
Face à l’installation d’un environnement commercial hostile, le gouvernement pourrait envisager de soutenir directement les artistes et les galeries commerciales pour les aider à développer leur carrière à l’échelle nationale. À titre d’exemple, il pourrait envisager une exonération de la TPS pour qui pourrait rendre l’art plus abordable pour les consommateurs et stimuler la demande intérieure. Une autre possibilité serait d’investir dans un programme de prêts sans intérêt comparable à celui d’Own Art, au Royaume-Uni. Depuis 2004, les conseils des arts d’Angleterre, d’Irlande du Nord et d’Écosse fournissent un financement public évalué à plus de 75 millions de livres sterling sous forme de prêts à court terme pour appuyer l’achat d’œuvres d’art et d’objets d’artisanat contemporains. De telles mesures incitatives n’existent pas au Canada; or, nous croyons qu’elles contribueraient grandement à soutenir la croissance du marché national de l’art. En attendant, nous demandons respectueusement au gouvernement du Canada de supprimer les droits de douane sur le transport transfrontalier d’œuvres d’art entre le Canada et les États-Unis, dans l’intérêt du libre accès et de la croissance du marché artistique entre les deux nations.