Skip to Content

Négociations avec le Musée des beaux-arts du Canada

Par Gerald Beaulieu

Après m’être joint au conseil de CARFAC, en 2004, j’ai participé à ma première réunion à Ottawa en février 2005. Depuis, notre organisme a connu beaucoup de changements ; cependant, une question demeure non résolue jusqu’à présent.

Durant cette réunion de février 2005, on m’a informé que CARFAC et le RAAV négociaient avec le Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) en vue d’établir une première entente collective en vertu de la Loi sur le statut de l’artiste. Les discussions portaient sur les montants d’argent à verser aux artistes pour l’utilisation de leurs œuvres, les modalités de paiement, ainsi que les conditions de travail – autant de questions qui sont au cœur de toute entente collective.

Durant les cinq dernières années, le MBAC est resté campé sur ses positions. Il a adopté une attitude belliqueuse, minimisant les avantages potentiels pour les artistes et faisant fi de la raison d’être de la Loi sur le statut de l’artiste, qui est de reconnaître l’importance de leur contribution à l’enrichissement culturel, social, économique et politique du Canada. L’intention qui sous-tend cette loi est d’améliorer la situation des artistes professionnels en les aidant à obtenir une juste compensation pour leur travail ainsi que les mêmes avantages sociaux que les autres travailleurs.

CARFAC et le RAAV se présenteront au Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs (TCRPAP) les 26 et 27 octobre prochain, avec l’espoir, cette fois, de résoudre la question.

Contexte

La Loi sur le statut de l’artiste (LSA)du gouvernement fédéral, qui a été adoptée par le Parlement en 1992, avait découlé de la Recommandation relative à la condition de l’artiste de l’UNESCO(Belgrade, 27 octobre 1980), dont le Canada est signataire.

La LSA vise à défendre le statut des artistes vivants et à encourager les relations entre artistes et producteurs au Canada. Il s’agit essentiellement d’une loi relevant du droit du travail qui permet aux artistes de conserver leur statut d’entrepreneur indépendant, tout en autorisant des associations représentant les artistes à négocier des ententes collectives ou des accords-cadres avec des institutions fédérales. Des lois similaires ont été mises en œuvre à l’échelle provinciale en Saskatchewan, en Ontario et au Québec.

La Loi couvre trois catégories d’artistes professionnels : les auteurs d’œuvres originales (ce qui comprend les artistes en arts visuels), les artistes du spectacle, et les professionnels qui apportent une contribution technique aux productions artistiques.
La Loi s’applique uniquement aux institutions fédérales et aux artistes vivants. Le TCRPAP, un tribunal comptant de quatre à six membres doté d’un pouvoir judiciaire, a été créé dans le but de veiller à l’application des règlements de la Loi. Les associations d’artistes souhaitant représenter leur secteur doivent être accréditées par le TCRPAP. CARFAC a été accrédité en 1998 pour représenter les artistes canadiens an arts visuels vivants (décision 29 du TCRPAP). Le RAAV a été accrédité pour représenter les artistes au Québec à l’échelle fédérale en 1997 (décision 21 du TCRPAP).

CARFAC et le RAAV ont travaillé conjointement en vue de signifier un avis de négocier au MBAC en 2002. En 2004, les deux associations ont débuté leurs négociations avec le MBAC. L’équipe de négociateurs de CARFAC regroupait Karl Beveridge, Pierre Tessier, et les présidents respectifs de CARFAC et du RAAV. En 2005, un protocole d’entente indiquant les grandes lignes de la relation liant les deux parties durant les négociations a été signé entre, d’une part, CARFAC et le RAAV, et d’autre part, le MBAC. Entre 2005 et 2007, l’utilisation du droit d’auteur a fait partie de toutes les discussions. D’un bout à l’autre des négociations, des barèmes tarifaires ont été proposés de part et d’autre et discutés. Un accord-cadre, des modèles normatifs de contrats d’exposition, d’acquisition, de prestation artistique et de reproduction ont été mis sur pied, les références au droit d’auteur étant présentes tout au long du processus.

À titre de président de CARFAC, j’ai participé à mes premières négociations à l’automne 2006, au MBAC, à Ottawa. Les quelques jours de labeur lent et ardu à examiner chaque article et chaque ligne de notre entente collective ont donné peu de résultats, à part quelques reformulations de phrases. C’est lors de cette période de négociations que le MBAC nous a informés qu’il sollicitait un avis juridique sur certains sujets.

Au printemps 2007, le MBAC a remplacé son négociateur issu de son personnel par l’avocat de l’institution, associé du cabinet Gowlings. Peu après cette annonce, nous avons reçu une copie d’un avis juridique de Gowlings et du MBAC présentant les grandes lignes de leur perspective quant à l’application de la LSA en matière de droit d’auteur. Suivant leur nouvelle position de négociation, il n’y avait plus de place pour des questions relevant du droit d’auteur dans aucune entente collective négociée.

Le MBAC a maintenu fermement sa position lors d’une session de négociations subséquente qui se déroula fin octobre dans ses bureaux juridiques à Ottawa. Le MBAC nous informa alors que ses avocats estimaient que nous n’avions pas l’autorité requise pour négocier des questions relevant du droit d’auteur en vertu de la Loi sur le statut de l’artiste. Ils n’étaient disposés à négocier que des services.
Cela équivalait à jeter par-dessus bord quatre années de travail portant sur l’élaboration de contrats.

Les nouvelles conditions proposées par le MBAC étaient inacceptables pour CARFAC et le RAAV, ce que nous avons affirmé dans une déclaration présentée à la fin de la session de négociations. Par la suite, nous avons essayé plusieurs fois de reprendre les négociations afin de tenter de faire changer sa position au MBAC, en vain. Cela ne nous a pas laissé d’autre choix que de déposer une plainte auprès du TCRPAP pour « négociation de mauvaise foi », en avril 2008.

L’impasse

Le TCRPAP n’a jamais déclaré une partie coupable de négociation de mauvaise foi, bien que deux autres plaintes aient été déposées jusqu’ici. Dans sa décision numéro 40, rendue en janvier 2003, le Tribunal donne un aperçu de son interprétation de la négociation de mauvaise foi. En effet, il opère une distinction entre les « négociations serrées », qui sont permises, et les « négociations de surface », qui consistent à faire semblant de négocier. Le Tribunal déclare : « La négociation dite de surface, est un terme qui décrit le fait par une partie de s’asseoir pour négocier sans qu’elle ait vraiment l’intention de conclure une convention collective. Ceci constitue une façon subtile mais efficace de ne pas reconnaître le syndicat».

Une audience était prévue au Tribunal pour l’automne 2008, mais elle n’eut jamais lieu. Le président du Tribunal démissionna de son poste pour se présenter aux élections fédérales, ce qui priva le Tribunal du quorum nécessaire pour entendre les causes, situation qui se prolongea jusqu’à fin de 2009.

Tentative de médiation

Tout en attendant que cette situation soit rectifiée et compte tenu de la présence d’un nouveau directeur au MBAC, CARFAC et le RAAV demandèrent au Musée te tenter la médiation comme nouvelle étape en vue de sortir de l’impasse. Ce service est offert par le TCRPAP à des parties consentantes. Le MBAC a accepté, un médiateur a été sélectionné et des dates fixées pour novembre 2009. D’entrée de jeu, la session de deux jours prévue fut coupée de moitié, les négociateurs du MBAC étant dans l’incapacité de nous rencontrer le premier jour. Cela commençait mal. Les discussions tenues dans le cadre d’une médiation sont confidentielles ; toutefois, je peux vous dire que l’exercice fut totalement infructueux. Cet état de fait nous renvoya vers le TCRPAP pour solliciter une audience visant à régler notre plainte. À la fin de 2009, le Tribunal eut quorum et une audience fut fixée d’abord pour les 7 et 8 avril, puis repoussée à octobre à la demande du MBAC.

Même si les audiences du Tribunal sont conçues pour permettre l’auto- représentation, nous nous sommes réjouis lorsque Ravenlaw, cabinet juridique d’Ottawa spécialisé dans les droits de la personne et le droit du travail, nous a offert son aide. Alors que le jour d’ouverture de l’audience approchait rapidement, notre équipe de négociation, moi-même compris, s’affairait à sa préparation, confiante dans notre cause.

Jusqu’ici, les dispositions de la LSA se sont avérées décevantes pour les artistes en arts visuels du pays. Les négociations traînent depuis huit ans, ce qui constitue un record pour le TCRPAP. Au moment d’écrire ces lignes, une des institutions avec lesquelles nous avions entamé des négociations, le Musée canadien de la photographie contemporaine, a disparu. L’un de nos principaux négociateurs est devenu grand-père. De nombreux individus sont entrés dans le processus puis en sont ressortis sans voir de résultats. De nombreuses autres associations d’artistes ont commencé à appliquer des accords-cadres. Mais nous, nous attendons toujours.

Malgré les difficultés, je crois qu’il est important pour des organismes tels que CARFAC de défendre le peu de lois existantes qui portent sur les artistes, entre autres la Loi sur le statut de l’artiste. Dans ses rapports au Parlement, le TCRPAP reconnaît que « la Loi ne répond plus aux attentes des nombreux artistes et producteurs, qui l’avaient accueillie avec joie au moment de sa promulgation ». Le Tribunal connaît les lacunes de la LSA et la manière d’y remédier. Malheureusement, aucune action n’a été entreprise.

La décision du Tribunal concernant notre cause nous sera communiquée plusieurs mois après l’audience. Quelle que soit son orientation, cette décision aura des retombées permanentes sur l’avenir de notre organisme et la voie que nous suivrons en rapport avec la Loi sur le statut de l’artiste. Souhaitez-nous bonne chance à la Cour, et restez à l’écoute pour la suite…

Gerald Beaulieu est président de CARFAC National et l’un des représentants de CARFAC au sein du comité de négociation CARFAC/MBAC.

Termes techniques :

Accord-cadre : un accord-cadre est un accord écrit entre un producteur et une association d’artistes, qui prévoit le respect de termes minimaux quant à la fourniture de services par des artistes ainsi qu’à d’autres sujets reliés. Les accords-cadres sont contraignants en vertu de la Loi actuelle.

Avis de négocier : un avis de négocier est une déclaration officielle que fait une partie, dans ce cas CARFAC/RAAV, demandant à l’autre partie d’entamer des négociations dans le but de parvenir à un accord-cadre.

Négociation de mauvaise foi : le terme « négociation de mauvaise foi » signifie qu’une des parties n’a pas fourni tous les efforts raisonnables pour parvenir à un accord-cadre.

Accréditation : l’accréditation initiale de CARFAC était considérée comme trop limitative pour avoir une utilité pratique dans l’établissement d’accords-cadres significatifs. En 2003, CARFAC a fait au TCRPAP la demande d’une nouvelle accréditation, demande qui lui a été accordée (décision 47). CARFAC demandait au Tribunal d’amender l’ordonnance d’accréditation en remplaçant le terme « commandés » qui figure dans la définition par le terme « engagés », et proposait que la description de son secteur se lise comme suit :
« un secteur composé de tous les entrepreneurs indépendants professionnels en arts visuels et en arts médiatiques au Canada, auteurs d’œuvres originales de recherche ou d’expression et exprimées par la peinture, la sculpture, la gravure, le dessin, l’installation, la performance, les métiers d’art, les arts textiles, le film et la vidéo d’art, la photographie d’art ou toute autre forme d’expression de même nature engagés par un producteur assujetti à la Loi sur le statut de l’artiste ».

Toute nouvelle entreprise connaît des crises de croissance. Notre ordonnance d’accréditation initiale ne reconnaissait pas l’interprétation littérale de certaines formulations juridiques. Nous avons donc fait remplacer le terme « commandés », qui a des connotations spécifiques dans le secteur des arts visuels, par le terme « engagés », afin d’élargir l’étendue des négociations que CARFAC peut entreprendre.

Quatre organismes se sont opposés à la nouvelle ordonnance de certification de CARFAC : le Conseil des arts de l’Île-du-Prince-Édouard, le Alberta Craft Council, le Nova Scotia Designer Crafts Council et le Conseil des arts du Canada. Aucune des objections de ces organismes n’a été retenue. Ironiquement, le MBAC est intervenu pour signifier son accord avec l’élargissement de l’accréditation de CARFAC afin que celle-ci s’étende au-delà des œuvres d’art de commande.