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Contexte des négociations entre le tandem CARFAC – RAAV et le Musée des beaux-arts du Canada

En 1967, le Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) a envoyé aux artistes qui participaient à une grande exposition d’art canadien une lettre leur demandant la permission d’effectuer des reproductions de leurs œuvres. L’institution n’offrait pas de rémunérer les artistes pour l’exposition ou la reproduction de leurs œuvres, alors qu’elle avait l’intention de vendre ces reproductions pour son propre profit. L’artiste Jack Chambers a alors écrit à l’ensemble des artistes exposants, lançant un appel à un refus collectif de travailler gratuitement. Cette démarche, qui s’est avérée un succès, a amorcé un débat à l’échelle nationale entre artistes et musées sur la notion de rémunération équitable. Un an après, CARFAC (alors connu sous le nom de Canadian Artists’ Representation) était né.

Quarante-cinq ans plus tard, CARFAC est toujours en désaccord avec le Musée des beaux-arts du Canada. Nous réclamant de notre accréditation en vertu de la Loi sur le statut de l’artiste, nous luttons pour notre droit de négocier des redevances minimales obligatoires pour les artistes. Or, le 4 mars dernier, la Cour d’appel fédérale a rendu une décision à l’effet que l’accréditation de CARFAC ne lui permet pas de négocier des droits d’auteur minimaux contraignants au nom des artistes canadiens qui exposent au Musée des beaux-arts du Canada.

Pourquoi CARFAC négocie-t-il au nom des artistes ?

Même si CARFAC n’est pas un syndicat officiel, nous négocions les conditions de travail pour les artistes en arts visuels, et nous recommandons un niveau minimal de redevances à verser aux artistes dont les œuvres sont exposées ou reproduites. Nous nous appuyons, pour ce faire, sur deux lois : la Loi sur le droit d’auteur et la Loi sur le statut de l’artiste.

Pendant des années, CARFAC a négocié avec les musées d’art publics le paiement à l’artiste de redevances et ,au fil du temps, cette façon de procéder s’est installée en principe et en pratique. En 1988, nous avons convaincu le gouvernement d’intégrer le droit d’exposition à la Loi sur le droit d’auteur. Ce droit permet aux artistes d’exiger d’être payés lorsque leurs œuvres sont « [présentées] au public lors d’une exposition, à des fins autres que la vente ou la location ». Le Canada est le seul pays dont la loi sur le droit d’auteur comporte ce type de disposition ; un grand nombre d’artistes ont été ainsi payés lorsque leur travail était exposé dans un musée public ou un centre d’artistes autogéré.

En 1980, le Canada a signé la déclaration de l’UNESCO appelant à améliorer la situation financière des artistes. La Loi sur le statut de l’artiste en a été une conséquence directe. Cette loi fédérale reconnaît l’importance du rôle de l’artiste dans la société, et prône une meilleure compréhension du mode particulier de travail des artistes en tant que créateurs indépendants. La Loi permet aux associations d’artistes professionnels, telles CARFAC et le RAAV, d’être accréditées pour négocier des ententes collectives avec les institutions fédérales, ce qui recouvre notamment la rémunération et les conditions de travail. Une fois approuvée par les membres, une telle entente devient juridiquement contraignante.

Le tandem CARFAC-RAAV et le Musée des beaux-arts du Canada

Les négociations avec le Musée des beaux-arts du Canada ont commencé en 2004. Durant deux ans, nous avons travaillé conjointement sur des contrats- types que le Musée établirait avec des artistes en arts visuels. Durant cette période, plusieurs discussions ont également eu lieu au sujet des redevances du droit d’auteur. En 2007, de façon soudaine et inattendue, le Musée a déclaré ne pas reconnaître notre droit de négocier des redevances minumales du droit d’auteur au nom des artistes en arts visuels, affirmant qu’il y avait un conflit entre la Loi sur le droit d’auteur et la Loi sur le statut de l’artiste. Or, cela entrait en contradiction avec une décision antérieure du Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs (TCRPAP), qui établissait clairement la nature complémentaire des deux lois. En 2008, nous avons déposé auprès du TCRPAP une plainte contre le Musée pour négociation de mauvaise foi, dans le but d’obliger ce dernier à revenir à la table des négociations.

CARFAC et le RAAV (notre homologue et partenaire québécois) ont toujours souhaité parvenir avec le Musée des beaux-arts à un accord mutuellement profitable. Nous avions déjà tenté maintes fois de ramener le Musée à la table pour négocier les droits d’auteur, et même après le dépôt de notre plainte, nous avons continué de le faire. Suite à une tentative infructueuse de médiation ayant eu lieu en 2009, l’avocat spécialisé en droit du travail David Yazbeck nous a permis de ramener notre cause devant le TCRPAP en nous offrant ses services gratuitement. Après une série d’audiences qui se sont déroulées sur une année, au début de 2012, le Tribunal a reconnu le Musée coupable de négocier de mauvaise foi. Peu de temps après, le Musée a demandé une révision judiciaire devant la Cour d’appel fédérale, révision qui a entraîné l’annulation de la décision du TCRPAP par un vote de deux contre un.

L’enjeu et l’impasse

En substance, le Musée des beaux-arts du Canada estime que la Loi sur le droit d’auteur, qui protège les droits individuels des artistes, l’emporte sur la Loi sur le statut de l’artiste, qui leur permet de s’organiser collectivement. Il croit que, étant donné que CARFAC et le RAAV n’ont pas fait l’objet d’une cession individuelle de droit d’auteur de la part de tous les artistes canadiens, ces organismes ne sont pas habilités légalement à négocier des redevances minimales pour le travail de l’ensemble des artistes. Il soutient que les artistes ont le droit d’accepter des paiements moindres que le montant minimal que nous tentons de négocier pour eux. De notre côté, nous soutenons que, en vertu de la Loi sur le statut de l’artiste, nous sommes habilités à négocier pour l’obtention de conditions minimales de travail pour les artistes, et que cela comprend des redevances minimales en vertu du droit d’auteur. Les artistes peuvent, s’ils (si elles) le souhaitent, négocier des honoraires plus élevés, mais alors individuellement. En fait, ce que nous demandons équivaut à un salaire minimum pour tout artiste dont on utilise le travail.

La majeure partie des relations de travail entre artistes et musées sont fondées sur l’utilisation de l’œuvre protégée d’un(e) artiste. Or, bien que les artistes consacrent un temps substantiel à la préparation d’une exposition, la rémunération qui leur est offerte ne correspond qu’à une petite partie de ces heures de travail. Les contrats établissent généralement la manière dont les œuvres seront utilisées et les sommes qui seront subséquemment versées à l’artiste. Le fait de retirer le droit d’auteur de l’équation équivaut à une situation où un employeur déclarerait à un syndicat qu’il refuse de négocier les salaires, mais veut bien parler de l’indemnité de congé.

La plupart des accords négociés en vertu de la Loi sur le statut de l’artiste sont conclus dans un délai de deux ans, et la majorité d’entre eux prévoient le paiement de redevances du droit d’auteur. Selon le TCRPAP, il serait inhabituel et contradictoire de ne pas inclure le droit d’auteur dans un accord négocié en vertu de cette loi.

La décision de la Cour d’appel fédérale

Trois juges de la Cour fédérale se sont prononcés sur la décision du TCRPAP selon laquelle le Musée des beaux-arts du Canada a bel et bien négocié de mauvaise foi et le tandem CARFAC-RAAV est bien habilité à négocier les droits d’auteur en vertu d’un accord-cadre. Le juge dissident, en accord avec CARFAC, a affirmé qu’il n’y a rien d’inhabituel de la part de CARFAC à vouloir « négocier les redevances minimales et les conditions selon lesquelles leurs membres fourniront des services, y compris les licences d’utilisation des œuvres existantes » . Il a également dit qu’il est naturel de supposer que « l’octroi d’une licence d’utilisation d’une œuvre est un service fourni par un artiste à un producteur ». Les deux autres juges étaient en désaccord avec cette position. Selon eux, « exiger des artistes qu’ils demandent une redevance minimale pour l’utilisation de leurs œuvres a des conséquences[…] En effet, cela signifie que les artistes concernés ne peuvent pas demander de sommes moindres, même si c’est la seule façon dont ils peuvent utilement exploiter leur droit d’auteur » .

Les prochaines étapes

Nous évaluons actuelement nos possibilités d’action, qui pourraient aller jusqu’à un appel devant la Cour suprême du Canada. Même s’il s’avère que légalement, les artistes devraient avoir le droit d’être payés en dessous des barèmes que nous recommandons, CARFAC et le RAAV continueront de se battre pour veiller à ce qu’ils ne soient pas poussés à faire un tel choix.