Mardi, 26 novembre 2013 – Encore une fois, cette semaine, des artistes ne toucheront aucune part des profits qui seront tirés de la revente de leurs œuvres à l’occasion de deux ventes aux enchères d’envergure. Plusieurs de ces pièces ayant gagné de la valeur avec le temps, des profits substantiels en sont attendus – profits dont les auteurs ne toucheront pas un sou. Les associations représentant les artistes en arts visuels au Québec et au Canada, respectivement le RAAV et CARFAC, demandent au gouvernement de remédier à cette lacune en intégrant le droit de suite de l’artiste à la Loi canadienne sur le droit d’auteur, comme cela a déjà été fait dans plus de 69 pays.
L’artiste torontoise Rita Letendre, notamment, verra trois de ses œuvres mises aux enchères, dont Mandragore, qui devrait atteindre un prix de vente de 40 000 à 60 000 dollars jeudi prochain à la Maison Heffel. Au minimum 108 œuvres de Rita Letendre ont été vendues aux enchères depuis 1990. Si le Canada appliquait un droit de suite de 5 %, , cette artiste aurait touché au moins 52 724 dollars depuis cette 1990.
« J’aimerais qu’on reconnaisse le travail de l’artiste car cette oeuvre existe parce que l’artiste l’a créée; sans artiste il n’y aurait pas d’oeuvre et sans oeuvre, pas de marché. C’est une excellente idée qu’on redonne une portion des profits à l’artiste, c’est une question de respect. »
Parmi les autres artistes concernés par ces enchères, mentionnons David Blackwood (Port Hope), Jacques Hurtubise (Cap-Breton), Alex Janvier (Cold Lake, Alberta) et Joe Fafard (Lumsden, Saskatchewan). Les pertes subies par ces artistes lors de ces ventes seront mentionnées plus loin.
Et cet automne il n’y a pas que ces deux enchères. Le 6 novembre, les œuvres de trente-huit artistes en arts visuels et artisans vivants ont été vendues pour un total de 120 668 dollars à l’occasion de la mise aux enchères de la Collection Claridge de Charles Bronfman. Le 18 novembre, les œuvres de dix-huit artistes inuits ont totalisé 84 700 dollars aux enchères d’art inuit de Waddingtons. Enfin, le 4 décembre, la maison Walker tiendra ses enchères d’art canadien et international.
Le droit de suite permettant aux artistes visuels de percevoir 5% du produit de la revente de leurs œuvres. En mai dernier, des députés de l’opposition ont exprimé leur appui au droit de suite lors de la présentation d’une motion par Pierre Nantel, député du Québec , et d’un projet de loi privé par Scott Simms, député de Terre-Neuve. Le gouvernement maintient sa réaction positive, mais aucun n’engagement n’a encore été pris.
Le manque à gagner potentiel de ces reventes sur des artistes partout au Canada
Québec
Mercredi prochain, aux enchères de Waddingtons, trois œuvres de l’artiste montréalais Claude Tousignant seront mises en vente, dont Poème Aeroscolaire, Carré #6, dont on attend un prix de vente de 1 800 à 2 200 dollars. Tousignant a vu de ses œuvres revendues à des enchères au moins 30 fois depuis 1992. Si l’on appliquait le droit de suite au Canada à hauteur de 5 %, Tousignant aurait reçu 18 184 dollars de redevances.
« Le droit de suite de l’artiste est fondamental, il n’y a pas d’autre mot, affirme Blackwood. Le Canada devrait être un modèle en matière de droits des artistes. »
Colombie-Britannique
L’on s’attend à ce que l’œuvre de l’artiste britanno-colombien David Alexander From the Vault Top soit vendue de 3 000 à 5 000 dollars chez Waddingtons mercredi prochain.
« J’appuie totalement l’institution du droit de suite, déclare David Alexander. Cette part petite, mais équitable du produit de la revente d’une œuvre d’art aiderait l’artiste à s’améliorer et lui procurerait une forme de sécurité pour les périodes financièrement difficiles. »
L’œuvre Gulf Island 3/82 Afternoon Fog de l’artiste britanno-colombien Takao Tanabe devrait atteindre de 15 000 à 20 000 dollars chez Heffel, jeudi prochain. Depuis 2009, au moins 72 œuvres de Tanabe ont été vendues aux enchères. Si l’on appliquait le droit de suite au Canada à hauteur de 5 %, Tanabe aurait touché 33 462 dollars en redevances depuis 2009.
Alberta
L’on s’attend à ce que l’œuvre Kindred Soul de l’artiste albertain Alex Janvier, de Cold Lake, soit vendue de 2 500 à 3 000 dollars chez Waddingtons mercredi. Depuis 1992, il y a eu au moins 62 reventes aux enchères des œuvres de Janvier, pour un total de 137 097 dollars. Si le Canada s’était doté du droit de suite à hauteur de 5 %, Alex Janvier aurait touché 6 854 dollars en redevances.
« Les artistes d’Alberta passent à côté des bénéfices, déplore Chris Carson, directeur général de Visual Arts Alberta-CARFAC. Il faut que le gouvernement passe à l’action afin que le droit de suite soit institué au Canada. »
Saskatchewan
L’œuvre de Joe Fafard David Suzuki devrait atteindre un prix situé entre 20 000 et 30 000 dollars aux enchères de Heffel, jeudi prochain. Depuis 1994, il y a eu au moins 65 reventes aux enchères d’œuvres de cet artiste. Si l’on appliquait au Canada le droit de suite assorti de redevances de 5 %, Joe Fafard aurait touché 42 986 dollars depuis cette date.
« Bon nombre de premières œuvres sont vendues à des prix très bas parce que l’artiste ne s’est pas encore taillé une réputation, dit Joe Fafard. Un acheteur qui revend une œuvre peut faire un coup d’argent ou, au moins, un beau profit. Partager une telle aubaine avec l’artiste qui est en grande partie responsable de cet heureux événement en lui accordant une modeste part de 5 % ne me semble pas être le comble de la générosité, mais c’est un début. »
L’œuvre A Little Pine Reserve de l’artiste Allen Sapp, de North Battleford, a été adjugée à 5520 dollars lors de la vente de la collection Claridge chez Waddingtons, le 6 novembre dernier. Étant donné que, depuis 1991, il y a eu au moins 358 reventes aux enchères de ses œuvres, Allen Sapp a a été privé d’un total de 41,281 dollars en redevances.
Est du Canada
Mercredi, l’artiste de Cape-Breton Jacques Hurtubise verra deux de ses œuvres mises aux enchères, dont Odette, qui devrait atteindre de 7 000 à 9 000 dollars. Au moins 22 reventes d’œuvres de cet artiste ont eu lieu, pour un total de 132 216 dollars. Si l’on appliquait le droit de suite au Canada à hauteur de 5 %, Hurtubise aurait touché 6 710 dollars en redevances.
« Bien sûr que le droit de suite devrait exister, dit Hurtubise. J’ai vendu dans le passé des oeuvres à 200 $ qui se revendent maintenant à 70 000$. C’est toujours l’artiste qui fait le moins d’argent. Oui, je suis à cent pour cent pour le droit de suite. »
L’artiste David Blackwood, de Terre-Neuve, verra quatre de ses œuvres mises aux enchères, y compris Ephraim Kelloway’s White Door, qui devrait être adjugée entre 40 000 et 60 000 dollars chez Heffel, jeudi prochain. Il y a eu au minimum 278 reventes aux enchères d’œuvres de cet artiste depuis 1990. Si le Canada s’était doté du droit de suite avec des redevances de 5 %, David Blackwood aurait reçu 43 598 dollars depuis cette date.
« Le droit de suite de l’artiste est fondamental, il n’y a pas d’autre mot, affirme Blackwood. Canada devrait être un modèle en matière de droits des artistes. »
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