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Intervention de CARFAC auprès de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle

En mai 2017, Grant McConnell, ancien président de CARFAC National, et Bernard Guérin, directeur général du RAAV (le Regroupement des artistes en arts visuels) ont assisté, à Genève, à la réunion de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle qui avait pour but de soutenir le droit de suite de l’artiste. Voici la déclaration complète que Grant a présentée au Comité, suivie de son rapport sur cette réunion de l’OMPI. CARFAC National souhaite remercier Grant et Bernard pour leur travail acharné et leur dévouement en vue de faire valoir le droit de suite et son importance pour les artistes au Canada et dans le monde entier.

Intervention de CARFAC auprès de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle SCCR 34 – 1er- 5 mai 2017, Genève.

Preparé par Grant McConnell, CARFAC National Presidente-sortant

Nous sommes ici aujourd’hui pour représenter les organisations de créatrices et créateurs d’un pays qui ne reconnaît pas actuellement le droit de revente de l’artiste. Il est donc naturel que je parle de la place centrale qu’occupe l’œuvre d’art originale au sein de l’économie artistique d’aujourd’hui.

Le droit de suite n’est pas nouveau ; il existe depuis près d’une centaine d’années. Il ne s’agit certainement pas d’un organisme de bienfaisance, ni d’une taxe. Le droit de suite est juste, il affirme que toute œuvre artistique acquiert de la valeur avec le temps et que cela doit être reconnu par le versement d’une modeste compensation à l’artiste d’origine ou à sa succession.

Dans l’esprit de l’adage voulant que « toute justice retardée est une justice refusée », nous exhortons l’OMPIC à poursuivre une action internationale vigoureuse pour faire valoir le droit de suite, de sorte que les artistes du Canada ou de pays où ce droit est absent jouissent bientôt de ce qui est devenu la « norme mondiale ».

De gauche à droite : Bernard Guérin, Directeur général du RAAV, et Grant McConnell, ancien président de CARFAC National, présents à Genève pour les rencontres de l’OMPI portant sur le droit de suite

Il est inconcevable qu’en 2017, tout artiste en activité au Canada ne soit pas au courant des principales dispositions que le droit de suite de l’artiste entraînerait pour les artistes du pays. CARFAC et le RAAV, aidés de leur personnel et de leurs bénévoles et avec le soutien de nombreux autres organismes de créateurs et créatrices, œuvrent depuis de nombreuses années pour l’institution au Canada de ce droit, qui engendrerait un paiement modeste au créateur ou à sa succession lors de la revente d’une œuvre. Il est également inconcevable qu’un pays qui a été chef de file international sur plusieurs fronts des politiques culturelles (redevances d’exposition, droit des artistes à s’organiser et à négocier, statut de l’artiste au regard de la loi, notamment) se contente du rôle d’observateur alors que plus de quatre-vingts pays dans le monde reconnaissent légalement l’importance du droit de suite de l’artiste.

 

 

Le Canada et la norme mondiale : à l’œuvre pour introduire le droit de suite de l’artiste chez nous

Par Grant McConnell, President sortant, Front des artistes canadiens (CARFAC), juin 2017

Avec mon collègue et ami Bernard Guérin, directeur général du RAAV (Regroupement des artistes en arts visuel du Québec), j’ai assisté à la Conférence internationale sur le droit de revente de l’artiste qui se tenait à Genève les 27 et 28 avril de cette année. Darrah Teitel et Marcia Lea y avaient assisté l’année précédente, assoyant la légitimation de CARFAC à titre d’ONG de délégation devant l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), organisme des Nations unies. Avec l’appui d’Access Copyright, j’ai également assisté aux séances qu’organisait l’OMPI la semaine suivante à propos de nombreux problèmes de droit d’auteur concernant les créateurs culturels dans une économie numérique en évolution. Le fait que, à l’initiative de représentants du Sénégal et du Congo, une conférence de cet organisme international ait consacré tant de temps et d’efforts à étendre la portée du droit de suite est remarquable. Le Sénégal et le Congo, comme le Canada, ont vu des œuvres de leurs artistes vendus à l’étranger pour des prix fortement supérieurs à ceux de leur vente première. Le versement d’un montant équitable à l’artiste lors de la revente, ainsi que la « traçabilité » (un enregistrement transparent de la façon dont l’œuvre d’art a été commercialisée) sont des éléments importants pour le créateur d’origine.

Comme l’ont longuement décrit des chercheurs et des artistes durant la conférence, la part de l’art dans l’économie mondiale est vaste, très vaste. Céline Moine, chercheuse et marchande d’art qui place l’artiste au centre de l’économie de l’art, estime que 500 000 ventes ont été conclues dans le monde entier en 2016 seulement. Cela représente plus de 300 000 entreprises ainsi que des dizaines de milliards de dollars changeant de mains. Madame Moine soutient que cela prouve que le marché de l’art est tout sauf fragile, contrairement à ce qu’avancent les adversaires du droit de suite. Le Canada abrite quatre des cinq cents artistes les plus cotés dont des œuvres ont été vendues aux enchères en 2016. Même au Canada, marché relativement réduit, la valeur des œuvres mises aux enchères ou vendues par l’entremise de courtiers est considérable. L’économie de l’art est en assez bonne santé au pays ; il est clair qu’elle est en mesure d’absorber le versement d’une modeste somme à l’artiste en vertu du droit de suite. Par ailleurs, la « traçabilité » d’une œuvre d’art que mettrait en place un organisme de collecte constituerait un véritable avantage pour les artistes. Non, le ciel ne nous tombera pas sur la tête si le droit de suite est inscrit dans une loi au Canada.

Janet Hicks, (Artist’s Rights Society, New York), parlant des perspectives de l’introduction du droit de suite aux États-Unis. Visible également sur la photo, une carte montrant les pays qui « ont » le droit de suite. Pas de points rouges en Amérique du Nord… Nous y travaillons ! Photo de Grant McConnell

Des représentants du gouvernement canadien (ministère du Patrimoine et ministère de l’Industrie, des Sciences et du Développement économique) participaient également à la conférence et aux réunions connexes. Les nombreux arguments raisonnables qui ont été avancés à l’appui de l’institution du droit de suite au Canada auront, espérons-le, été dûment notés par eux. Ces représentants de l’État canadien ont notamment entendu Herve di Rosa, un artiste français, expliquer l’importance d’un « seuil plancher » à partir duquel le droit de suite entrerait en jeu au moment de la vente, étant donné que 99 % des ventes d’œuvres d’art représentent un montant inférieur à 10 000 dollars américains.

Ce point est particulièrement important pour un petit marché comme le nôtre. Ils ont entendu Katheryn Grady, une économiste de la Brandeis International Business School (Massachusetts), déclarer que, après une étude approfondie dont elle et ses collègues ont eu la charge après l’établissement du droit de suite en Grande-Bretagne, on n’a constaté aucun effet négatif sur le marché de l’art de ce pays, mais plutôt une augmentation notable de l’activité artiste durant la période étudiée. Ils ont également pu entendre Mark Stevens, avocat établi à Londres et président de DACS (Royaume-Uni) lancer un appel vibrant pour l’acceptation et l’application universelles du droit de suite, en reconnaissance des principes qui le sous-tendent. Sans oublier James Sey, marchand d’art de Johannesburg et propriétaire d’une maison d’enchères, qui a expliqué que les pays qui ne se sont pas dotés du droit de suite (l’Afrique du Sud figure également sur cette liste de plus en plus courte) continuent d’être témoins de violations des droits des artistes dont les redevances ne sont pas payées.

Et nous étions tous là pour entendre Mattiusi Iyaituk, artiste d’Ivujivik, défendre passionnément le droit de suite, pas pour lui-même, mais pour ses enfants. L’art doit être relié à la collectivité, à tous ceux qui sont à sa portée, et pas seulement sur le plan économique. Son plaidoyer fut la démonstration la plus palpable de la nécessité d’adopter ce droit au Canada, Iyaituk ayant raconté que peu de temps après la vente pour 250 dollars d’une de ses sculptures effectuée directement dans son atelier, il a revu son œuvre dans une galerie de Vancouver. Prix de vente : 5 000 dollars.

Artiste Mattiusi Iyaituk. Photo: Grant McConnell

Dans son article couvrant la conférence pour l’Agence France Presse, la journaliste Nina Larson note quelques-uns des obstacles qui se dressent devant l’extension du droit de suite. Le directeur de l’OMPI, Francis Gurry, insiste sur le fait qu’il est juste que les artistes profitent d’un marché mondial de l’art en plein essor, qui a atteint plus de 63 milliards de dollars en 2015. « Cela devrait être absolument incontournable », a-t-il déclaré à l’AFP.

Il y a eu une opposition au droit de revente de la part de certains pays, et de maisons d’enchères en particulier, fondée sur des craintes que celui-ci pourrait avoir une incidence négative sur le marché de l’art. Mais Gurry a déclaré que ces craintes se sont avérées infondées après que la Grande-Bretagne eut finalement plié devant les pressions de l’UE et adopté le droit de suite en 2006. « Sotheby’s et Christie’s ne se sont pas effondrées ! Elles sont toujours là, et fonctionnent toujours bien. Toutes les preuves sont là pour confirmer que cela ne perturbe pas le marché de l’art », a-t-il déclaré, exprimant l’espoir qu’un accord international pourrait être réalisé « dans un délai de trois ans ».

Pour Bernard et moi, il était extraordinairement gratifiant de voir des artistes, ainsi que de nombreux professionnels de l’art, déjouer du tac au tac les objections au droit de revente. Nous sommes conscients de la tactique d’homme de paille de notre adversaire. De plus, à Genève, certains délégués nationaux se sont prononcés contre une application plus large du droit de suite à l’échelle internationale. « Nous ne pouvons nous permettre le droit de suite dans une économie fragile », « C’est trop complexe pour être géré efficacement », « Cela ne plaira pas aux acheteurs et aux vendeurs », et ainsi de suite. Pour les quatre-vingts pays qui ont déjà enchâssé le droit de suite dans une loi, ces arguments n’ont pas résisté à un examen approfondi, ni à la pratique. Il semble que le marché de l’art continue tout simplement de croître avec le temps.
Les États-Unis et la Chine, deux des quatre plus grands marchés d’art du monde, n’appliquent pas le droit de suite. Cela nous complique particulièrement la tâche ici, au Canada, où quiconque propose des changements dans les pratiques économiques se fait demander « Qu’est-ce qu’ils font aux États-Unis ? »

Meret Meyer, petite-fille de Marc Chagall, lors de la Conférence sur le droit de suite de l’artiste tenue à Genève. « Les amoureux de l’art doivent aimer tout autant l’équité. Les artistes ne vivent pas d’amour et d’eau fraîche ! » a-t-elle affirmé. Photo de Grant McConnell

Il est très significatif qu’une instance des Nations unies, l’OMPI, avec le soutien actif de la CISAC (Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs), évolue vers une résolution d’adoption universelle. J’espère que le visage « multilatéral » du Canada que nous avons vu sur la scène mondiale saura prévaloir. Il en est temps, pour l’économie artistique mature que nous avons construite et que nous apprécions. Il s’agit, après tout, d’une norme mondiale.


Pour voir une vidéo de la conférence de Genève, visitez le site Web de l’OMPI, http://www.wipo.int/meetings/en/2017/resale_right_conference.html et accédez à la vidéo sur demande.